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Quand l'étonnement devient sexiste

  • Marie Gentric
  • 27 sept. 2015
  • 4 min de lecture

Je suis une fille et je fais du rugby. Jusque là, pas de problème.

Je suis une fille, j’ai un trait d’eye-liner sur les yeux, du rouge sur les ongles, une jupe à fleurs et je fais du rugby. Oups, pardon ?


Visage dubitatif, sceptique, rieur. L’éventail des réactions est large. Je vous rassure tout de suite, pas de panique : loin de moi l’idée de victimiser mes homologues amatrices du ballon ovale.

Je sais, elles ne sont pas méprisées, agressées ou tournées en ridicule lorsqu’elles avouent s’adonner aux placages.

Je sais, elles n’essuient aucune blague grasse ou de mauvais goût.

Je sais qu’elles sont justes scrutées avec un certain étonnement, plus ou moins dissimulé. Rien de bien méchant, hein ? Pas de machisme, pas de sexisme, pas de discrimination. Pas de gros mots.

Le seul problème, c’est que cet air stupéfait et ces yeux comme deux rond de flanc recèlent un profond sexisme. Explication.



Une fille, une « vraie »


Les mentalités ont évolué et l’idée qu’une fille puisse pratiquer un sport, aussi violent soit-il, ne choque plus (du moins, plus autant qu’avant). Mais reste à établir ce que l’on entend par une « fille ».

D’un point de vue biologique, il semble que les barrières soient levées : depuis 1888, les êtres de sexe féminin peuvent jouer au rugby.

D’un point de vue social, la question est bien plus complexe. Si vous portez un jogging délavé et trop grand, le fait que vous fassiez du rugby ne surprend personne. Si vous arborez une robe courte et des lèvres teintées de rouge, le fait que vous vous défendiez sur un terrain intrigue. Bref, nul besoin de prolonger la caricature : seules certaines filles sont jugées crédibles pour tripoter le ballon. Lesquelles ? Les baraquées, peu/ pas maquillées. Les masculines. Les « garçons manqués ».


Etre jugée légitime à la pratique du rugby implique de ressembler à un garçon, ou du moins, de s’éloigner suffisamment des critères de la sacro-sainte « féminité ». Tu as un vagin et tu veux jouer au ballon ? Pas de problème. Mais dans ce cas, laisse tomber les éléments qui t’identifient comme fille. La fille qui veut jouer au rugby semble confrontée à un sournois dilemme. Le choix est simple mais cornélien : d’un côté, la « féminité », de l’autre, la crédibilité en tant que joueuse.



Sexisme et féminité : le duo infernal


De là, surgissent alors deux problèmes de taille :

  1. le premier concerne la question de la féminité, désormais classique. Pour être considérée comme une « vraie » fille, une femme doit obéir à certains codes, aussi bien vestimentaires que gestuels. Dès lors, s’établit alors un certain continuum, allant de la femme « parfaite » à la femme « négligée », tout en passant par la catégorie majoritaire de la femme « normale », conforme aux critères imposés. Abstrait et simpliste de prime abord, ce continuum est pourtant validé par des expressions récurrentes telles que « se sentir femme », « libérer sa féminité ». Autant d’expressions ornant les couvertures des magazines féminins et se reproduisant dans la bouche des passantes. Autant d’expressions vides de sens. C’est vrai, après tout : que signifie être une femme ?

Je suis la première à me mettre du vernis, à acheter des jupes à paillettes et à me maquiller. Bref, si je n’exécrais ce mot, je dirais que je corresponds tout à fait à l’image d’une fille « féminine », voire très féminine. Pour autant, me sens-je et suis-je plus « femme » que mon amie aux cheveux courts, aux shorts trop grand et à la peau sans fard ? Rien n’est plus sûr. Il serait grand temps de prendre conscience qu’être une femme ne s’évalue pas sur une échelle. Et surtout, ne signifie rien.


  1. le deuxième point qui me chiffonne se rapporte à la question même du sexisme. A l’image des équations mathématiques, récapitulons nos résultats précédents en procédant par étapes et de façon logique :

  2. plus une fille est « féminine », plus elle est « femme ».

  3. plus une fille est « féminine », plus sa pratique du rugby surprend.

=> Après addition et fusion des deux termes, nous obtenons donc la phrase suivante : plus une fille est « femme », plus sa pratique du rugby surprend. Grattez un peu, et comprenez : la pratique du rugby par une femme correspondant à l’image sociale de la femme surprend. Pourquoi ? Parce que cette femme-là, la femme féminine, la "vraie" femme, est fragile, faible et douce. Et c’est là que ça coince. Eh oui : violent, brutal et agressif, le rugby ne peut être pratiqué par des êtres fragiles, faibles et doux, autrement dit des femmes. A moins que ces dernières ne rejettent ce qui fait d’elle des femmes : leur féminité.


Diminution de la personne à certaines caractéristiques physiques et psychologiques. Exclusion (plus ou moins implicite) de certaines sphères. Différenciation sociale basée sur un présupposé biologique. Sexisme, vous avez dit sexisme ? Certes, pas d’insultes, ni de mépris, et encore moins d’hostilité. Mais tous les ingrédients sont là.

Derrière l’ouverture d’esprit, le vernis d’égalité et les discours empreints de démagogie, le rugby demeure un sport de garçons. La surprise et l’amusement face à l’aveu du penchant pour le ballon ovale traduisent simplement un nouveau visage du sexisme : le sexisme discret, sournois, presque timide. Qui prend racine dans la « féminité », notion vide de sens et bourrée de poison. Et dont les branches ne cessent de grandir.

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