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Balayer devant sa porte

  • Marie Gentric
  • 11 oct. 2015
  • 3 min de lecture

Parfois, certaines informations graves parviennent à vous décrocher un sourire légèrement ironique. Telle a été ma réaction lorsque j'ai parcouru LeMonde.fr et que j'ai découvert le chaos diplomatique causé par le drame de Kashturi Munirathinam.


Kashturi Munirathinam, c'est une femme Indienne d'une cinquantaine d'années, travaillant en tant que domestique en Arabie Saoudite. Maltraitée, torturée, elle a tenté d'échapper à ses employeurs en prenant la fuite. Une tentative soldée par une sanction des plus radicales : une main coupée. Les bourreaux ne font ni dans le raffinement, ni dans la demi-mesure, qu'on se le dise.


Face à la boucherie, le gouvernement Indien s'est empressé de réagir. En guise d'avant-goût, le message posté sur Twitter par Sushma Swaraj, ministre des affaires étrangères : « Nous sommes très perturbés par la manière brutale dont a été traitée une femme indienne en Arabie saoudite. Nous avons pris contact avec les autorités saoudiennes. »


Rassurez-moi : à la lecture de ce Twitt offusqué, vous aussi, vous sentez pointer un rire amère ? Vous aussi, vous éprouvez un léger amusement mêlé d'âpreté ?


Bien entendu, loin de moi l'idée de minimiser le drame de Kashturi Munirathinam.

Non, la douleur d'une femme estropiée ne me fait pas sourire. Couper la main d'un être humain est un acte barbare, ignominieux et méritant une sanction. Il est normal, voire souhaitable, qu'il suscite incompréhension, scandale et colère.

Ce qui me fait sourire, c'est que cette incompréhension, ce scandale et cette colère soient exprimés par l'Inde.

Ce qui me fait sourire, c'est que l'Inde manifeste un semblant de sensibilité face au sort d'une créature dotée d'un vagin.


Parce que, soyons d'accord : aux dernières nouvelles, l'Inde c'était bien ce pays où les femmes sont traitées avec le plus grand des mépris, violées comme des truies et arrosées d'acide de temps à autre, n'est-ce pas ? Le tout dans la quasi-impunité, bien entendu.

Quand le nombre de victimes défigurées, meurtries et décharnées s'élèvent à plusieurs centaines par jour, une main coupée apparaît presque comme un acte routinier, coutumier. Un petit apéro avant le bon dîner, l'amuse-gueule avant l'arrache-gorge. Une aiguille dans une botte de foin, un "détail de l'histoire", pourrais-je presque dire, pour paraphraser un grand défenseur des droits de l'homme connu de tous.


En revêtant son apparat de Dame Justice, l'Inde se ridiculise. En revendiquant l'existence de droits qu'elle dénie sur son propre sol, elle revendique un rôle qu'elle ne peut prétendre légitimement adopter. Face à l'Arabie Saoudite, l'Inde s'affuble d'une parure grotesque et pitoyable.


Face à cette situation ubuesque, deux hypothèses font figure d'ersatz explicatifs :

  1. L'Inde connaît un changement politique/ social/ sociétal radical, d'où son ralliement surprise à la cause féminine.

  2. A l'image de ses homologues, l'Inde tente de trouver sa place dans la complexe machinerie diplomatique, notamment en tirant profit de certains drames personnels.

Entre la naïveté optimiste et la lucidité pessimiste, j'opte (malheureusement) pour la seconde option.

Dévoilant son caractère stratégique, la condamnation offusquée prend alors un sens. Manque de bol pour l'Inde, sa manoeuvre manque de crédibilité. Et de cohérence.

Eh oui, les droits, la dignité et le respect ne sont ni sans fond, ni sans consistance. Comme l'argile, ils se travaillent, se forment et se sculptent ; se modèlent puis se gravent, se consolident puis s'immortalisent.


"Balaie devant ta porte avant de balayer devant celle des autres", c'est ce que dit le célèbre proverbe. A défaut d'argile, offrons donc à l'Inde un balai. Ah ! Et tant qu'on y est, proposons à l'Arabie saoudite de l'aider en lui tenant la pelle.

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