La mode XXL ou le pouvoir du marchand de sable
- Marie Gentric
- 4 nov. 2015
- 3 min de lecture

La société française n'est pas grossophobe. Non, il ne s'agit pas d'une affirmation faussement ingénue ou délibérément provocatrice.
Il est en effet inapproprié d'alléguer de façon péremptoire que l'individu et la communauté craignent les gros-ses. En attestent la multiplication des magasins grandes tailles, la prolifération des défilés de mannequins XXL et la création de concours "Miss Rondes".
Toutes ces inventions semblent combler nos espoirs de tolérance, d'acceptation de soi et autres nobles idées dans le genre. Le combat contre le carcan social connaîtrait-il un certain avènement ? L'utopie d'un monde plus sain, plus ouvert, serait-elle sur le point de se réaliser ?
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Les prototypes corporels voleraient en éclats, les patrons esthétiques se dissoudraient. Au coeur des explosions anatomiques, parmi les moules liquéfiés, de nouvelles formes verraient le jour. Des formes multiples, hybrides: des formes rondes, courbées, des formes conçues sans forcer. Des formes sans format, en somme …
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Trêve de fantaisie. L'utopie est encore bien loin de prendre forme. Le rêve est de pacotille, à l'image des valeurs dont se revêtent les modèles XXL.
Graissophobie vs grossophobie
Ni la prolifération des magasins dédiés aux grandes tailles, ni le succès des mannequins potelées ne sont synonyme de liberté corporelle. A bien y regarder, toutes ces morphologies bien en chair obéissent (elles aussi) à des patrons esthétiques. Des patrons certes différents de ceux prônant une maigreur excessive. Mais des patrons stricts et définis.
Nos modèles grande taille sont bel et bien des modèles, dans la plénitude du terme : des prototypes, des catégories possédant certaines caractéristiques propres.
Des hanches généreuses contrastant avec une taille marquée et étonnamment fine
Une poitrine opulente
Des cuisses fermes, un ventre légèrement rebondi : une peau tendue et lumineuse, aux antipodes des lambeaux de chair flasques et amorphes.

A l'image des cadavres désossés ornant les panneaux publicitaires, ces créatures rosées passent au scalpel de la technologie, au crible du Photoshop. Tout comme les Barbie translucides des podiums, ces poupées aux courbes harmonieuses obéissent au diktat social.
Mais alors … puisque le diktat n'est pas celui de la minceur, quel est-il donc ? Réfléchissons quelques instants.
Si nos mannequins grande taille se parent de plusieurs attributs similaires, elles partagent aussi (et surtout) une étonnante absence, un vide incohérent et artificiel. En effet, parmi les montagnes de chair, nulle trace de cellulite, nul fragment de peau cotonneuse ou avachie. Parmi les images de la grosseur, nulle trace de graisse.
Le diktat esthétique n'est pas relatif à la minceur mais à la graisse. Il n'impose pas la première mais prohibe la seconde. La société n'est pas grossophobe, mais graissophobe.

Du modèle au croquis ?
Les gravures XXL ne sont ni moins façonnées, ni plus décomplexées que les esquisses XXS. Grandes ou petites, les tailles semblent taillées dans le même cristal castrateur.
Certains argueront que l'avènement de nouveaux patrons de beauté témoigne d'une première avancée, d'une certaine élasticité, d'une dissolution relative des patrons. Le périmètre restreint correspondant au culte de la minceur s'élargirait progressivement, donnant lieu à un culte moins restreignant : le culte de l'absence de graisse. Du culte positif, nous passerions au culte négatif, davantage propice à la souplesse et aux marges de manoeuvre. Du carcan, nous passerions à la gaine. Du modèle, nous passerions au croquis.
Peut-être.
Il n'en demeure pas moins que, sous couvert de liberté assumée et revendiquée, la mode XXL se contente de reproduire, voire conforter, le despotisme graissophobe. A l'image du marchand de sable, elle embrume nos yeux et parsème nos paupières de poudre enchanteresse. Et s'empresse alors de maquiller la réalité.
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