Le féminisme indigène : quel GENRE de féminisme ?
- Marie Gentric
- 10 sept. 2015
- 3 min de lecture
Notion polymorphe, aux facettes et visages multiples, le féminisme semble aujourd’hui indéfectiblement lié au concept de genre. A partir des années 1960 les gender studies (études sur le genre) ont étudié la manière dont la société attribue des rôles à chaque sexe. De nombreuses féministes ont repris le concept de genre afin de dénaturaliser les rapports entre les sexes : la féminité, comme la masculinité ne sont pas des données de nature mais des constructions sociales. Ainsi, on ne naît ni femme, ni homme, on le devient, d’où la célèbre phrase de Simone de Beauvoir.
Le hic, c’est que le genre est un concept occidental … complètement étranger à certaines cultures, notamment à un bon nombre de communautés indigènes d’Amérique Latine. En effet, la notion de genre implique de concevoir l’être humain depuis une perspective individuelle. Or, beaucoup de communautés indigènes pensent l’être humain à travers le prisme de la complémentarité, bien plus que de l’individualité. La communauté indigène est vu comme un corps qui, pour être en bonne santé, nécessite une moitié féminine et une moitié masculine, perçues comme indissociables. Ainsi, la femme ne peut se concevoir sans l’homme, et vice-versa ; par conséquent, les femmes ne différencient pas leurs droits de ceux des hommes.
Les femmes indigènes ne nient pas l’existence du machisme dans leurs communautés, bien au contraire. Néanmoins, elles lient ce machisme à la colonisation : en important et imposant leur culture, les colons ont aussi assujetti les indigènes à leurs schèmes de pensée. Le genre en tant que principe organisateur des relations sociales n’est donc que la résultante de la domination occidentale. Pour les communautés indigènes, penser les relations hommes/ femmes à partir du genre implique ainsi de se soumettre à la domination occidentale. Certaines femmes indigènes qualifient ainsi le féminisme occidental de « néocolonialisme ».
Cette revendication est d’autant plus prégnante que les femmes indigènes ont peu la parole. Souvent marginalisées et forcées au silence, elles n’ont que de rares occasion de porter leurs revendications sur les scènes nationale et internationale. Leurs demandes sont alors reprises par des féministes occidentales, qui les transmettent et les reformulent à l’aide d’outils analytiques et intellectuels souvent bien loin de correspondre à la réalité empirique. Cette dernière est décrite à travers des concepts purement occidentaux, faisant fi des identités indigènes et de leurs particularités culturelles.
Dès lors, il est nécessaire que les femmes indigènes elles-mêmes s’expriment, parlent en leur nom, avec leurs propres mots. Certaines organisent ainsi des espaces de dialogue, tels que des groupes de parole ou des troupes de théâtre. Bien gentillettes aux yeux des occidentaux, ces actions semblent pourtant avoir un impact, si l’on en croie les principales intéressées. Certes, elles s’inscrivent au niveau local et n’ont pas d’impact macro. Certes, elles ne peuvent suffire à changer les mentalités. Certes, à l’heure actuelle, les femmes indigènes ont encore besoin d’intermédiaires pour relayer leurs revendications à l’échelle mondiale. En somme, il est criant que les problèmes rencontrés par les femmes indigènes ne peuvent être réglés par quelques ateliers de théâtre.
Ce réalisme n’implique pas pour autant de rejeter dans l’ombre les initiatives encore timides. Bien au contraire, il devrait plutôt contribuer à leur prêter une attention croissante. Ainsi, les féministes occidentales pourraient retire leur oeillères et se pencher sur les propositions de celles dont elles se revendiquent les messagères. Le concept de genre n’est sans doute pas le bon remède lorsqu’il s’agit de défendre les droits des femmes indigènes. On ne soigne pas le mal avec de mauvais médicaments, on risque même de l’accentuer. A défaut de panacée universelle, il convient sans doute d’établir une nouvelle ordonnance.
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